« on m’a oublié » d’Estelle Hervé ; atelier d’écriture- camp des milles (2103-2014 ; 1ère S4)

« on m'a oublié » d'Estelle Hervé ; atelier d'écriture- camp des (...)

À l’étage le plus haut, il y avait ce grand espace, rempli de poteaux et de poutres. Il avait servi de lieu de séchage des tuiles à l’époque où l’usine tournait encore. À cet endroit, des centaines de personnes étaient entassées. Ici, c’était surtout des femmes et des enfants.

Une histoire m’a beaucoup touchée. Celle d’un vieil homme, qui, avec sa femme, est retourné sur ce lieu. Jeune enfant, il y était resté plusieurs jours.

Il raconte. Il avait alors six ans. Tout lui revient comme s’il en avait eu le double. Recroquevillé au fond de la pièce, dans un coin sombre encombré de débris, il s’était endormi. Si petit, si fragile, si invisible. Sa faiblesse lui a porté chance. Alors que tout le camp était évacué, lui, le sommeil lourd de fatigue, de froid, de peur, ne s’est pas réveillé.

On ne l’a pas vu. On l’a oublié. Heureusement.

C’est ce qui a permis son évasion. C’est ce qui a permis de le faire revenir de l’enfer.

Mais revenir pour quoi ?

Pour témoigner.

Pour qu’en remettant les pieds dans ce lieu aujourd’hui il puisse dire à sa femme :

« Là-bas. C’est là-bas que l’on m’a oublié. C’est ce petit coin qui m’a sauvé la vie. »

Et sa femme de dire, en arrivant :

« Ah, c’est donc de ces poteaux dont tu me parles si souvent ! Mais où sont les poutres ? Il n’y en avait pas plus dans tes souvenirs ? »

Si, il y en avait plus. Mais elles ont été détruites.

Détruites par le temps. Détruites par l’oubli. Détruites par l’abandon.

 

Un bâtiment peut s’effondrer,

mais on l’oublie ensuite.

 

Une vie peut s’effondrer,

mais on ne l’oublie jamais.

 

 

Estelle HERVÉ