« Cette fenêtre vide » de BOURDOT Célia ; atelier d’écriture camp des milles (2013-2014 ; 1ère S4)

« Cette fenêtre vide » de BOURDOT Célia ; atelier d'écriture camp des (...)

Cette fenêtre vide. Froide. Aussi bien habillée que les internés. Qui aura le cran, cette fois ci, de sauter ? Hier, une mère et ses deux enfants. Demain, cette femme muette assise toujours dans le même coin ? Ou l’ancienne professeur d’école ? On ne le sait pas. Ce n’est seulement qu’après que l’annonce de l’événement, par bouche à oreille, fasse le tour du camp que nous pouvons savoir.
Finalement, aujourd’hui ce fut Agnès. Qui aurait put le croire ? La jeune Agnès. Morte. Sur le coup. Du sang. Une grosse flaque de sang sur la terre humide. Personne ne nettoiera. Comme d’habitude. Pas le temps pour ça. Pas le courage non plus. Le courage, c’est à dire la force. Le courage physique. Le courage mental c’est autre chose, nous n’y pensons pas. Cela ne nous fait plus rien au cœur. Le principal ? Ne pas se laisser entraîner comme la pauvre Agnès.
La semaine dernière c’était au tour de ce couple d’Aix-en-Provence, seuls, sans famille. On raconte que devant femmes et enfants ils traversèrent tous deux l’immense pièce, sans un mot. Ils eurent la force de monter sur la faible armature en bois de cette fenêtre, dévorée par les mites, puis, juste après un dernier regard d’adieu, ils se laissèrent emporter dans le vide. Ce vide si rempli d’air. Par manque de chance la mort ne voulait pas d’eux ce jour là. Les gardiens les ont ramassés et amenés dans le bureau du bourreau. Ce bourreau, celui qui fait régner les ordres ici. Jamais plus on ne revit ces deux personnes, venues de la ville. On ne sait pas où ils sont dorénavant. Ce n’est plus notre problème. La vie misérable du camp continue.
Cette fenêtre qui nous regarde jour et nuit. C’est elle qui fait rentrer le froid glacé pour nous inciter à tout arrêter. Pour nous inciter à venir vers elle. Elle nous appelle. Nous tenons bon. Il ne faut pas craquer. Si nous craquons c’est terminé. Si nous l’écoutons nous finiront comme Agnès. Avec un peu de malchance, comme ce couple Aixois, ou la vie continue de les torturer.
Ne pas s’approcher de ce petit rectangle c’est ne pas mourir. Il vaut mieux rester éloigné de cette fenêtre. Certains cèdent, juste pour la vue. La seule vue du village. Ce n’est pas grand chose, mais c’est tant. Il y en a qui disent n’avoir jamais vu si beau. C’est faux. Ils ne se rappellent plus. C’est tout.
Comme quoi, un petit trou dans ce si grand mur n’est peut-être que la seule solution pour s’évader. Mais il faut résister. Résister au froid. Résister à la fatigue. Résister à la faim et à la soif. Résister à ce petit rectangle.
C’est à se demander comment un aussi petit trou puisse laisser passer un aussi grand froid. Cette fenêtre est puissante. Puissante de pouvoir nous contrôler, telle sa volonté.
C’est une fenêtre. Vide. La fenêtre. Celle de la mort.