Les élèves de 3° rencontrent deux témoins de la seconde guerre mondiale


Vendredi 25 novembre matin de 9h à 12h
, tous les élèves de 3° se sont rendus à la salle Marceaux à la rencontre de deux grands témoins de la Seconde Guerre Mondiale dans le cadre du CNRD ( Concours National de la Résistance et de la Déportation ), sous la houlette de Jean-Pierre Beaux son président pour le département des Bouches du Rhône.
Après avoir présenté aux élèves, pendant trois quart d’heure, le Concours National de la Résistance dont le thème cette année est : "l ’école et la résistance : des jours sombres au lendemain de la libération (1940-1945)" , Jean-Pierre Beaux a donné la parole aux deux grands témoins Paulette et Antoine.
Paulette et Antoine ont fait leur rentrée vers 10h, ils étaient accompagnés d’un jeune homme Léo âgé de 18 ans à peine, féru d’histoire, lauréat à plusieurs reprises du Concours National de la Résistance, d’abord au Collège puis ensuite au lycée. Aujourd’hui étudiant en histoire, il se veut être passeur de mémoire. Inlassablement, il part à la rencontre de témoins, les interroge, retranscrit leurs témoignages.
Pendant deux heures, Léo a été l’animateur de la rencontre entre Paulette, Antoine et les 150 élèves, laquelle rencontre a été filmée et devrait faire l’objet d’un d’un documentaire sur Arte.
Les témoins arrivés, les élèves ont fait un grand silence et cela pendant deux heures : plus de bruit de chaises, plus de rappels à l’ordre........

Léo donne la parole d’abord à Paulette puis à Antoine
Viendront ensuite les questions.

Paulette, Antoine
Une femme, un homme
Deux destins
Deux témoins des horreurs de la guerre.
Paulette, une femme de près de cent ans, née en Lituanie en 1923, immigrée en France en 1925
De confession juive
Élégante, au bras de Léo, à son entrée dans la salle Marceaux
Portant des chaussures avec des petits talons
Paulette ne se raconte pas
Elle prend le micro pour lire un poème
Pas n’importe quel poème
Le poème de 6 millions de martyrs
Celui du testament d’Auschwitz

« Nous les âmes errantes de nos 6 millions de martyrs, dont les cendres encore chaudes sont éparpillées dans les plaines lugubres de la Haute Silésie, Nous les mères juives, séparées sauvagement de nos petits, dont ils n’ont pas eu seulement pitié,
Nous les vieillards, Justes des Saintes Communautés, qui sommes morts dans les chambres à gaz en prononçant le nom de l’Éternel,
Nous les innocents, les petits Daniel ou Myriam, les petits Maurice ou Sarah, souriant vers l’avenir qui semblait s’offrir à notre émerveillement, Petits enfants du camp des Milles, de la Verdière et d’Izieu, déportés et assassinés à Auschwitz, ou à Sobibor, Nous les enfants, les frères et les sœurs de nos disparus, nous qui avons échappé miraculeusement à la tragédie de l’arrestation et de la déportation, mais qui n’avons pas connu la joie d’une adolescence entourée de nos parents chéris, Nous les héroïques défenseurs des derniers remparts du Ghetto de Varsovie, qui avons pu choisir de mourir en combattant plutôt que d’être traités et exterminés comme des bêtes, Et nous les derniers survivants de la Shoah, ultimes témoins de la barbarie nazie, qui avons touché le tréfonds de l’horreur, et dont les blessures se cicatrisent à peine.
Nous léguons notre mémoire meurtrie :
À nos jeunes héritiers de la Marche des Vivants et des Voyages de la Mémoire, ainsi qu’à leurs disciples. Vous qui avez voulu refaire l’itinéraire sanglant qu’a suivi le peuple Juif en pénétrant dans les camps d’extermination.
Nous vous léguons notre Mémoire, à charge pour vous de la transmettre de génération en génération, afin que nul n’oublie, afin que nul ne doute, afin que nul ne nie !
Nous vous léguons notre Mémoire que nous avons reçue nous-mêmes par serment de nos familles et de nos camarades assassinés sous nos yeux.
Puissent nos héritiers rappeler aux Hommes la folie exterminatrice d’une idéologie innommable contre un peuple qui n’aspirait qu’à la Paix !
Puissent-ils faire preuve de vigilance dans les années et siècles à venir, et ne pas en oublier pour autant la tolérance vis-à-vis des autres !
Puisse le Mémorial des Milles en Provence pour lequel nous nous sommes investis depuis des années, apporter à ceux qui le visiteront toute la dimension pédagogique recherchée pour faire barrage à la haine et rappeler le souvenir des hommes, des femmes et des enfants qui ont séjourné dans ce camp de départ pour le néant … Puisse que soient condamnés et combattus toute tentative de génocide, et je pense au Rwanda, et au peuple arménien qui se souvient en ces douloureux anniversaires.
Puisse le flambeau de la Mémoire collective, que nous vous transmettons avant d’arriver au bout de notre voyage, vous protéger à tout jamais d’un nouvel AUSCHWITZ ! »

Puis Léo, prend la parole, la questionne, lui qui connaît si bien son histoire.
Alors, elle raconte
Elle se raconte
Elle a quitté la Lituanie avec sa famille pour la France pour quitter la misère dans l’espoir de trouver une vie meilleure en France, à Paris. Elle avait à peine dix huit mois.
Elle est juive, sa mère est pieuse. Ils suivent les fêtes juives.
Elle se souvient d’une scolarité difficile
Même avant guerre
Parce qu’elle est gauchère
On lui attache sa main gauche dans le dos
On sent encore dans sa voix la rage
Elle aura toujours une revanche à prendre
A plus de 50 ans, elle reprendra ses études, passera un baccalauréat haut la main , mention très bien,
ira à l’Université, passera un Doctorat de Lettres.
Elle se souvient très bien de la guerre, des humiliations subies dès le début du conflit, de la peur au ventre.
Elle avait 17 ans, portait une étoile jaune cousue sur ses vêtements
Dans le métro, il fallait prendre des wagons réservés aux juifs
Pour se nourrir, il fallait faire des queues interminables
Être servie après tout le monde, parce qu’elle et sa famille étaient juifs.
Puis elle raconte comment, elle a pu échapper à la rafle du Vel d’Hiv de juillet 1942
Elle sortait avec un jeune homme, non juif
Il connaissait le commissaire
Elle a pu avec sa mère et sa petite sœur Jacqueline se cacher puis se rendre en zone libre alors que son père y était déjà.
Nous étions en août 1942
Il a fallu pour cela payer un passeur,
Franchir un fleuve, le Cher avec de l’eau jusqu’aux épaules porter la petite sœur Jacqueline à bout de bras,
Se réfugier dans une ferme clandestine en donnant des pièces pour avoir le droit de cueillir des fruits.
Le chemin fut long et semé d’embûches.
Lyon ne fut pas une destination de rêve : Paulette apprit que son oncle avait été déporté, sa tante avait dû rester avec ses enfants.
La petite famille poussa plus loin jusqu’à Marseille où se trouvait réfugiée sa grande sœur mariée.
C’est à Marseille qu’elle fit la rencontre de son futur mari, Jean, rue Venture. Il n’était pas juif. Il fut réquisitionné pour aller travailler pendant trois ans en Allemagne dans le cadre du STO.
Mais la vie devenait de plus en plus risquée à Marseille.
Les rafles se multipliaient, sa mère assista même à une Rafle , au niveau du magasin Uniprix
Il fallut encore et toujours fuir.
Elle put vivre cachée à Vaison-la-Romaine pendant trois ans chez la famille Guigue avec sa mère et sa sœur Jacqueline. Elle travailla comme sténo-dactylo au sein d’une entreprise agricole de tripiers
Après guerre, le 10 novembre 1945, à peine Jean revenu d’Allemagne, ils se marient, habitent à Marseille, profitent de la vie, prennent des bains de mer au petit Pavillon pas très loin de la plage des Catalans.
Henri et Claire Guigue reçoivent au début des années soixante le titre de juste parmi les nations.
Paulette n’a jamais eu de nouvelles de sa famille restée, en Lituanie, ils ont tous péri. exterminé
Elle a l’impression quand elle regarde vers l’Est que l’histoire se répète : toujours des histoires de fuite, d’exil, de déportation.......

Vous pouvez retrouver l’entretien de Paulette Payan sur le site
https://lestweforget.crif.org/characters/Paulette_Payan

Après Paulette, c’est au tour d’Antoine de prendre la parole.
Antoine, est originaire de Sicile. Ses parents ont quitté l’île en 1922, pour des raisons politiques, en 1922, au moment de l’arrivée au pouvoir de Mussolini. Son père a fait la première guerre mondiale aux côtés des alliés, de la France. Pour son père, la France, c’était le pays des droits de l’homme et de la liberté. Arrivé en France, son père travaillait dans une mine de charbon de la Grand’ Combe près d’Alès dans le Gard comme de très nombreux émigrés alors qu’il avait deux professions : celle de coiffeur et de cordonnier. Puis obstiné, il réussit à travailler dans un salon de coiffure situé sur le Vieux-Port, quai du port.
Antoine est né le 24 janvier 1937 en France à Marseille, dans le quartier de Saint Jean, rue Caisserie, dans un quartier populaire, peuplé d’une population d’origines très diverses. On y trouvait des Italiens, des Grecs, des Espagnols, des Arméniens,des Sénégalais mais aussi beaucoup de Corses. Il s’agissait dune population d’ouvriers, d’artisans, de dockers. A côté vivait un quartier mal réputé peuplé « de femmes de vie ».
Antoine Mignemi avait à peine cinq ans au moment des rafles de janvier 1943. Les rafles du 24 janvier sont très peu connues du grand public. Elles ont été occultées pendant très longtemps. Ce traumatisme de l’enfance refoulé pendant des décennies, ne ressurgit que récemment.
Ce n’est que depuis 2009, qu’Antoine et les rescapés des rafles du Vieux Port témoignent encore et encore. En janvier 2009 Pascal Luongo un des descendants des victimes de la Rafle dépose plainte auprès du parquet antiterroriste spécialisé dans les crimes contre l’humanité.

Antoine, enfant âgé de cinq se souvient
Il se souvient de la police française qui débarque, cerne le quartier, il entend encore le bruit des bottes, leur hurlement dans les hauts parleurs de voiture.
Il se souvient des consignes données : prendre des habits chauds, les papiers et surtout de fermer la porte d’entrée à clef.
Il se souvient avoir été conduit du Vieux Port en tramway à la gare d’Arenc puis en wagons à bestiaux jusqu’au camp de rétention de Fréjus.
Femmes, enfants, bébés étaient serrés dans ces wagons à bestiaux pendant toute une journée.
Au bout d’un journée, il se souvient être arrivé, dans un camp infect. Ils ont dormi sur de la paille souillée. Les hommes ont été séparés des femmes et des enfants.
Encore aujourd’hui, c’est avec une grande émotion qu’il revit la séparation avec le père.
Devant un public silencieux, recueilli, plein d’empathie, il explique quand il arrive à reprendre sa respiration, quand il arrive à retrouver ses mots, un père c’est fait pour protéger …
Dans ce camp de rétention, utilisé pendant la première guerre mondiale pour recruter des soldats d’Afrique, ils sont restés quinze jours :
Oui, quinze jours d’humiliation
Sans possibilité de se nourrir
Sans possibilité de se laver
Avec à l’extérieur un seul robinet
Avec sa mère et sa petite sœur
Sans son père.
Quinze jours d’humiliation
avec comme unique objectif la déshumanisation
Au bout de quinze jours, Antoine et sa famille ont été libérés.
Ils ne peuvent pas retourner chez eux
Leur quartier a été dynamité
Ils ont tous perdu :
Leur maison
Le salon de coiffure
Leur travail
Ils iront vivre chez les grand-parents maternels à Pont-de-Vivaux, un autre quartier populaire de Marseille.

Sur 12000 personnes déportées le 24 janvier 1943 vers le camp de Fréjus
800 seront ensuite conduites vers le camp de concentration d’Oranienburg Sachsenhausen
et 200 juifs vers les camps de la mort.

Vous pouvez retrouver l’histoire Antoine Mignemi sur les sites suivant :
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-zoom-de-la-redaction/rafle-du-vieux-port-du-24-janvier-1943-l-enquete-plus-de-trois-quarts-de-siecle-apres-les-faits-9564808

https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/un-ex-gardien-de-camp-ss-inculpe-en-allemagne-vers-une-reconnaissance-des-victimes-oubliees-de-la-rafle-de-marseille-1978672.html
Au cours des échanges avec les élèves, Antoine et Paulette reviennent sur la signification des rafles, ces arrestations massives.
Antoine tient à préciser que la rafle du 24 janvier 1943 correspondait au plan Sultan
La destruction du quartier Saint Jean a été conduite par les SS avec la complicité des collaborateurs du gouvernement de Pétain.
Il s’agissait d’un plan prémédité. Pour Pétain, il était temps de nettoyer Marseille des indésirables alors que sous le Front Populaire, des lois protégeaient les plus démunis.
Pour Himmler, Saint Jean , c’est la porcherie de Marseille, la porcherie de la France.
Le quartier de Saint Jean a été rayé de la carte.
La famille d’Antoine a tout perdu et n’a jamais été indemnisée. Antoine explique le parcours de combattant mené par son père Diego pour obtenir naturalisation et indemnisation.
Une histoire de fous :
En 1945 pas indemnisé parce qu’il est français malgré une démarche pour obtenir la naturalisation.
En 1952 pas indemnisé parce qu’il est français et qu’on indemnise uniquement les Italiens
Au cours des échanges, on comprend qu’Antoine mène un combat comme un devoir de mémoire.
Pendant neuf mois, il a participé au procès d’un ancien gardien du camp d’Oranienburg Sachsenhausen aujourd’hui âgé de 102 ans.

Les élèves s’interrogent à plusieurs reprises sur le devenir de la famille Lituanienne de Paulette.
Mais Paulette n’a aucun souvenir de la Lituanie, Elle ne sait ni écrire ni parler la langue. Aucun courrier n’a pu être échangé pendant la guerre. Il existait la censure.
Plus tard une fois la guerre finie, des recherches ont été faites mais en vain. Ils sont tous mort. Un seul objet la rattache à la Lituanie, un samovar.

Ils lui demandent si elle portait une étoile jaune.

Quand, elle vivait à Paris, au début en 1940, elle portait l’étoile. Puis à partir de 1942, une fois la ligne démarcation franchie, elle n’a plus été mise.

Les élèves s’adressent à Antoine, ils aimeraient plus de détails sur la vie dans le camp.
Il répète les conditions de vie épouvantables. Ils étaient traités « pire que des animaux ». Ils dormaient au milieu des excréments sur de la paille souillée. Certains même sont morts dans le camp.

Ils se demandent comment s’est passé leur scolarité

Paulette prend d’abord la parole. Elle est bien allée à l’école au début de la guerre quand elle vivait à Paris mais comme elle était juive, ses devoirs n’étaient pas corrigés. C’est pourquoi , elle prend une revanche , une fois que ses deux fils sont élevés, elle reprend les études.......
Antoine refait l’historique de sa scolarité chaotique.
École maternelle dans le quartier Saint Jean,
Puis à nouveau école maternelle à Pont de Vivaux
Des difficultés pour faire ses devoirs dans une petite maison sans eau
Il passe son certificat d’étude.
Il passe un concours pour suivre une formation dans le bois pendant un an à Menpenti
Il voudrait s’orienter vers formation autour du travail du fer.
Il ne peux pas suivre la formation pour être ajusteur dans la construction aéronautique, les transports étaient trop chers pour aller de Pont de Vivaux jusqu’au lycée porte d’Aix.
Au final, il devient apprenti trois ans pour être plombier sans être payé.


Ont-ils eu un soutien psychologique ?

Ils n’ont bénéficié d’aucune aide.
Paulette n’a pas eu besoin de soutien ou plutôt ne regrette pas de pas en avoir eu.
Elle n’a pas eu de problème à retrouver une vie normale. Les problèmes ont été mis de côté.
A bien réfléchir, Antoine aurait bien aimé avoir un soutien psychologique. Toute sa vie a été marquée par ce traumatisme.

Peut-on retenir du positif de cette période ?

Paulette répond avec le sourire. Elle voit dans son histoire pendant la guerre du positif, elle a échappé aux Rafles, a tété cachée pendant trois ans, a rencontré pendant la guerre son futur mari. Elle prend sa revanche en réussissant à faire des études.
Son dernier mots aux élèves : sachez profiter de la vie !!!!!
Antoine à cette question, lance de ses yeux bleus des éclairs de colère :
Rien, rien
Rien de positif
Un traumatisme qui perdure jusqu’au aujourd’hui


Éprouvez-vous encore aujourd’hui de la haine ?

Paulette n’a pas de haine, pas de ressenti, elle ne s’étend pas, on comprend qu’elle vient de vivre un drame dans sa vie.
Antoine n’a pas la haine mais la rage fusillé au corps de mener un combat pour faire connaître l’histoire aux nouvelles générations. Il a un devoir de mémoire.
Non, il n’a pas la haine des Allemands. Il pense à tous les travailleurs dans le bâtiment qui ont connu les mêmes conditions de vie ou de travail qu’ils soient français et allemands.
Dans l’analyse de la Rafle, il met dos à dos les policiers français de Vichy et les SS allemands.