FEMMES INSPIRANTES 2024 : L’histoire de Wilma Rudolph, de la paralysie aux JO (1960)

FEMMES INSPIRANTES 2024 : L'histoire de Wilma Rudolph, de la paralysie (…)

Août 1960 à Rome, les Jeux olympiques d’été battent leur plein, et la ville est en sueur : déjà littéralement parce que les températures explosent le compteur à l’époque, mais surtout parce qu’une athlète afro-américaine vient de pulvériser les jeux et rentre dans l’Histoire en décrochant 3 médailles d’or. Un exploit qui la hisse au rang de première femme à empocher un triplé de médailles dorées.
.

.
.
La vie de Wilma Rudolph : un parcours hors du commun
.
Rien ne laissait présager une telle destinée. Les obstacles se présentent dès sa naissance : elle voit le jour le 23 juin 1940, dans le ghetto de Bethlehem, au nord du Tennessee aux États-Unis. C’est la… vingtième, oui, d’une fratrie de 22 enfants, la fille d’un père porteur de bagages et d’une mère domestique.

Elle naît prématurée de 2 mois et c’est un bébé poids plume. À 4 ans, elle est frappée par la scarlatine et une double pneumonie. Et comme si ça ne suffisait pas, la petite Wilma grandit à Clarksville, composée de 40 000 habitants dont 75% de blancs, où la ségrégation et discrimination battent leur plein.

Résultat : les soins médicaux réservés aux afro-américains sont très réduits, et un seul médecin est alloué à toute leur communauté.

La famille de Wilma la soigne donc au mieux à la maison, en la massant et lui faisant prendre des bains chauds, mais quand ses maux se calment enfin, Wilma commence à avoir des problèmes au niveau des jambes. Le verdict tombe alors : elle est atteinte de la poliomyélite et perd totalement l’usage de sa jambe gauche qui est désormais paralysée... Et, selon les médecins, c’est pour la vie.
.
.
Entre guérison et débuts sportifs :
.
En grandissant Wilma se force à mettre un pied devant l’autre malgré l’attelle et le corset qu’elle porte. Des efforts qui paieront : à l’âge de 12 ans et grâce à ses nombreuses visites au Mehary medical college de Nashville qui accepte de traiter les afro-américains, elle retrouve progressivement l’usage de ses jambes.

Wilma est désormais sur les starting blocks de la vie, assoiffée d’activité physique... Mais aussi de sport. Tout va alors très vite : elle intègre l’équipe de basket de son école et bat même le record de points sur un match pour ensuite être sélectionnée dans l’équipe de l’État du Tennessee. Plus rien ne semble l’arrêter : elle est alors tellement rapide et insaisissable sur le terrain de basket qu’on la surnomme alors Skeeter (moustique).

Elle est repérée par Ed Temple, un coach de renommée du Tennessee, et sa vélocité l’envoie naturellement vers les pistes de courses, plus infinies et ouvertes qu’un terrain clos de basket. En 1956 elle participe aux Jeux olympiques d’été de Melbourne, et à 16 ans seulement, elle décroche la médaille de bronze sur le relais 4x100 mètres aux côtés de son équipe, dont elle est la plus jeune membre. Oui, c’est fou.

.
1960 - Engagée et animée par la lutte :
.
.
Si Wilma est une athlète animée par la soif de revanche sur son passé paralysé, elle a encore le goût amer de la discrimination que subissait et subit encore sa communauté.

Elle raconte que lorsqu’elle avait 6 ans, elle était déjà marquée par la discrimination : “Je me suis dit : il y a quelque chose de pas normal dans tout ça. Les blancs ont tout le luxe, et nous les noirs avons le sale boulot.”

Quand en 1960 elle est qualifiée pour les Jeux olympiques de Rome on est encore finalement loin du célèbre discours de Martin Luther King (1963), ou des Black Panthers (1966). Wilma est donc à l’aube d’une révolution, et chacune de ses victoires permet de hisser la communauté afro-américaine un peu plus haut, tout en suscitant l’espoir. Wilma court dans les pas de Jesse Owens. Et elle le clame haut et fort, il est une grande source d’inspiration pour elle. Car dans l’ombre des Jeux olympiques plane toujours cette soif des nations à démontrer leur puissance au travers des meilleures performances sportives...

.
La consécration olympique de Wilma Rudolph :
.
.

Août 1960, la planète entière a donc les yeux rivés sur Rome (on se souvient, il s’agit de la toute première édition à être retransmise en direct à la télévision et ça à travers le monde). Wilma s’apprête à courir un 100 mètres légendaire. Seulement... La veille de la demi-finale, elle se foule la cheville en trébuchant dans un trou pendant l’entrainement. La douleur ne semble pourtant pas la déstabiliser, bien au contraire…

Au top départ, elle s’élance sur la piste, avec une cheville foulée donc. Très rapidement, elle laisse loin derrière toutes les autres participantes : elle vient d’exploser le record du monde en 11,3 secondes. Du jamais vu. Lors de la finale, elle remporte haut la main la médaille d’or en 11 secondes, battant son temps précédent. Il ne sera pourtant pas homologué comme record du monde... car “le vent étant puissant ce jour-là et ayant pu jouer en faveur du temps”.

Wilma ne s’arrête pas là puisqu’elle enchaîne ensuite avec une victoire au 200 m, puis du 4x100 m avec son équipe, où elle tient la place cruciale de dernière sprinteuse et franchit la ligne d’arrivée à la première place. Le sport au féminin est en émoi. L’écrivain Raymond Johnson écrira que “Pendant un jour, la conquête spatiale, la folie des missiles et tout le reste ont disparu des subconscients pendant que Wilma venait d’exploser le 100 mètres en 11 secondes.” Elle vient également d’entrer dans l’Histoire en devenant la première femme à rafler trois médailles d’or sur des jeux Olympiques.

.
L’impact de Wilma sur les clichés de la beauté de l’époque :
.
.

Cette année-là, sur 5348 sportifs, 610 sont des femmes. Et la victoire de Wilma enflamme les médias. En Italie, on la surnomme “la Gazelle noire”, et de manière assez étrange le monde se fascine sur son physique : sa peau noire, ses longues jambes fines et musclées, son sourire emblématique font réagir.

Il faut se souvenir qu’à cette époque, le sport est encore très imprégné de masculinité. Déjà par son ratio de participants hommes/femmes, mais aussi parce qu’une femme sportive, dans l’inconscient collectif, c’est souvent une femme physiquement... masculine.
La place de la femme dans le milieu sportif était encore très fragile. Il n’est pas rare à l’époque de lire des propos de la part des journalistes sportifs, jugeant que la place d’une femme est plutôt à la maison qu’en compétition sportive. Aux yeux de beaucoup, les nageuses américaines blanches et blondes incarnent à elles seules la féminité dans la compétition.

Par exemple, la célèbre nageuse américaine Chris von Saltza qui venait d’exploser sur les mêmes Jeux que Wilma 3 médailles d’or et 2 d’argent, eut le droit de la part du magazine Life dans un article : “elle a presque autant de médailles que de taches de rousseur”, pour vous dire combien il était important de relier ses victoires... à son physique.

La participation de Wilma et ses victoires sont donc aussi le point de départ d’une nouvelle vision du corps des femmes à la peau noire, allant à l’opposé des corps blancs majoritairement représentés comme l’incarnation de la beauté et de la féminité à l’époque.

.
L’après jeux olympiques :
.
.

Wilma revient des JO de Rome en star. Elle est reçue par John Fitzgerald Kennedy, fraîchement élu et les émissions télévisées les plus prestigieuses se l’arrachent.
Elle a remporté des médailles sportives, mais son ultime combat commence maintenant. Son histoire est bordée de blessures, qu’elle s’acharne à panser les unes après les autres au fil du temps.

Et le sport dans tout ça ? À son retour, en 1960, Wilma reprend directement l’université et décroche un diplôme en éducation en 1961. Elle prend sa retraite en 1962, à quoi bon continuer à courir si sa revanche sur son corps est prise. D’autres causes l’animent désormais, et elle veut faire évoluer le sport au féminin plus que jamais.

.
Dans son autobiographie, Wilma Rudolph explique :

.
.

"Le fait est que les athlètes féminines noires sont au bas de l’échelle des sports américains. La plupart d’entre elles sont impliquées dans l’athlétisme parce que c’est le seul sport qui leur est encore vraiment ouvert. Combien de golfeuses noires y a-t-il ? Combien de joueuses de tennis noires ? Quand leur carrière sur piste est terminée, peu importe ce qu’elles ont accompli aux Jeux olympiques, il n’y a pas de place pour elles."

.

En juillet 1994, Wilma apprend qu’elle est atteinte d’une tumeur au cerveau. Elle s’éteint 4 mois plus tard chez elle, à l’âge de 54 ans.


.
.